La Genèse

Angel Sanctuary ou Tenshi Kinryôku en Japonais apparaît dès 1994 en prépublié dans un magazine shôjo, Hana to Yume. Sa publication en volume relié débute en 1995, et durera en tout 6 ans. Tout cela équivaudra au final à 20 tomes, sans compter l’OAV tiré des trois premiers tomes ainsi que les CD de Drama reprenant le reste de l’histoire. Parlons un peu de l’histoire, qui aux premiers abords apparaît simpliste, mais se révèle rapidement très complexe, à tel point qu’il est impossible de parler du début sans en révéler un peu sur la suite. On parlera donc des 3 premiers tomes qui lancent en grande partie la narration que va prendre Yûki Kaori.

par Vyse Skern

Sara et Setsuna

- Bienvenue en Asshiah -

Il y a longtemps, le monde du Ciel fut déchiré par plusieurs guerres entre les anges et les démons. C’est après ce conflit que l’on assiste au vol du corps de l’ange déchu Alexiel, qui mena la seconde révolte contre le Tout-puissant. Celle-ci était enfermée dans un mystérieux lieu au sein du Paradis avant sa libération orchestrée par deux démons issus de la Géhenne, Kouraï et son (sa) cousin(e) Arachné(e). Malheureusement, l’âme d’Alexiel est absente et Kouraï décide de partir la chercher en Asshiah, appelé aussi le Monde Matériel. Pendant la même période, sur Terre, en l’année judéo-chrétienne 1999, un mystérieux jeu intitulé « Le Sanctuaire des Anges » sème la mort chez tous ceux qui s’y sont essayés. Pendant ce moment là, Setsuna Mûdo, un jeune japonais bagarreur d'origine anglaise, commence à voir autour de lui de nombreux problèmes naître.

Des problèmes qui s’ajoutent à son obsession majeure, à l’origine supposée de la séparation de leurs parents : son attirance pour sa sœur cadette, Sara. Il rencontre aussi une mystérieuse jeune fille, Ruri Saïki, une amie de Sara qui aurait la faculté de percevoir l’aura des gens, et qui sera vite attirée par Setsuna chez qui elle dénote une puissante aura en forme d’ailes.

Setsuna

Malheureusement pour elle, un mystérieux personnage lui remettra le jeu mystérieux qui aura un effet bien différent sur elle, à savoir réveiller le jumeau céleste d’Alexiel, Rochel, un être à l’apparence androgyne qui gouvernait le monde Céleste avant sa chute au cours du conflit contre sa sœur. Ruri se révèle donc être la réincarnation de Rochel sur Terre et ce dernier décide de traquer sa sœur dont la réincarnation actuelle serait Setsuna. Ce dernier se retrouve donc l’enjeu de différentes forces dont le but de chacune est de réveiller l’âme d’Alexiel qui sommeille en lui.

Rochel

Néanmoins, la relation entre Setsuna et sa sœur va rapidement devenir très forte et tous deux vont s’avouer, malgré leur lien et leur famille, leurs sentiments respectifs après moult péripéties et révélations autour de Setsuna. Rochel voulant à tout prix éviter que la réincarnation de sa sœur s’unisse avec une mortelle, il enverra un ange du nom de Kirieh éliminer cette dernière, avec succès, ce qui aura pour effet de provoquer la fureur de Setsuna, qui ravagera dans sa haine tout Tokyo. Tout cela est le point de départ des aventures de Setsuna dans le monde des anges et des démons dans lequel il va découvrir un Paradis, plus horrible que l’Enfer, complètement laissé à l’abandon par un Dieu mystérieusement absent et un Lucifer complètement inactif pour des raisons toutes aussi étranges.

- La Divine Comédie revue et corrigée par Kaori Yuki -

A l’image de Dante, Yûki Kaori nous expose ici sa vision successive du Royaume des morts, de l’Enfer et du Paradis. Néanmoins, contrairement à ce dernier, elle évite tout jugement à portée philosophique. L’utilisation de la symbolique chrétienne et des nombreuses références religieuses dont elle parsème son œuvre ne sont en effet plus que des éléments narratifs. Elle se sert de la mythologie chrétienne comme trame de fond pour son histoire comme certains prennent la mythologie grecque. D’ailleurs, elle signalera elle-même qu’elle ne respecte pas la symbolique chrétienne pour ses personnages au cours d’un passage humoristique avec l’ange Raphaël. Humour assez rare d’ailleurs dans ce shôjo manga d’un type assez nouveau, qui oscille parfois des phases sentimentales vers des batailles homériques ou des scènes de tortures bien plus glauques. Loin de là tous les poncifs du genre aussi, adieu les mondes romantiques et beaux, bercés dans une poésie typiquement japonaise.

Raphael dans un "passage humoristique"

Non, ici on est en plein délire macabre, gothique et pervers voire limite SM pour certains personnages reprenant de manière avouée la nouvelle mode gothique des groupes de rocks japonais.

A+S est un manga extrêmement intéressant de par son histoire complexe et riche agrémentée de personnages hauts en couleurs si on peut les qualifier ainsi. Yûki fait preuve ici d’une imagination hors du commun dans la création de ces derniers.
Ses personnages sont tous très travaillés autant par leur design, qui change par ailleurs souvent, donnant à ces derniers une diversité de style importante, mais surtout par une psychologie très profonde qui rend chaque protagoniste d’autant plus intéressant malgré parfois un rôle mineur ou bref dans l’histoire. Même si Angel Sanctuary est donc typiquement shôjo aux premiers abords, par son style graphique, ses beaux personnages de type éphèbes ou androgynes, ses relations sentimentales, romantiques, incestueuses, perverses, violentes (j’entends par là le viol), etc...

Mikael

son ambiance, et son style narratif bien plus adulte le détachent plus vers le josei. C’est d’ailleurs le style récurrent de Yûki Kaori que l’on retrouve ici et que l’on a pu observer dans ses autres œuvres et notamment Comte Cain. Visiblement, l’inceste, en particulier frère/sœur, est un sujet qui intéresse beaucoup Yûki. On retrouve aussi beaucoup les amitiés entre hommes, parfois proches du yaoi mais sans jamais s’en approcher de trop près, s'apparentant plus à du shônen aï. Tout cela pour dire qu'Angel Sanctuary révolutionne à sa manière le shôjo manga, changeant certaines règles établies, qui arrivent ainsi à conquérir un public masculin de par son traitement.
Tout cela est accordé à la perfection par le trait de Yûki Kaori, ne cessant de mûrir au cours des années qui ont vu le développement de ce manga, à tel point qu’on arrive à de vrais tableaux de maître pour les derniers tomes, ainsi qu'à des personnages transcendés par le crayon de la mangaka. Cela se retrouve également dans les décors, qui gagnent en finesses et en détails.

Uriel

Seul léger bémol, les scènes de combats ne sont pas toujours très claires, bien que certaines donneraient pas mal de leçons de savoir-faire à de nombreux auteurs de shônen. Il est donc vrai qu'au final cet univers puisse déplaire à certains, mais si vous accrochez un tant soit peu dès le début au manga, il ne fait aucun doute que vous ferez parti de ces inconditionnels qui sauteroxnt dès qu’ils le pourront sur le tome suivant, jusqu’à la conclusion finale apocalyptique (si on peut le dire ainsi) en forme d’apothéose de ce chef d’oeuvre. Le pire dans tout cela, c’est qu’on en redemande encore et encore sans jamais être complètement rassasié.