Printemps Bleu

Printemps Bleu, ou Aoi Haru en version originale, est un recueil de nouvelles paru en 1993 au Japon, un recueil né de l’imagination du talentueux Matsumoto Taiyô, également auteur d’Amer Béton, Ping-Pong ou Number Five pour les plus connus. Cet ouvrage rassemblant diverses histoires courtes plus ou moins liées entre elles et à Amer Béton, prend place dans le milieu scolaire japonais ou plutôt se focalise sur la jeunesse japonaise...

par Aniki

Couverture originale de Printemps Bleu

- Si t'es heureux, frappe dans tes mains -

Le ton est donné dès les premières pages, présentant des étudiants manifestement pas très heureux de se retrouver face au lecteur, dans quelques courtes scènes comme le suicide d’un couple se jetant du haut d’un toit. Nous avons affaire à une œuvre au ton résolument pessimiste, noir, et cynique. La jeunesse que nous présente Matsumoto est une jeunesse désabusée, blasée, cultivant la haine suite à leur ennui, à leur perte d’envie de vivre dans ce monde terne et sans lendemain. « La vie, c’est trop con », comme le dit l’un des protagonistes de la première histoire, Si t’es heureux frappe dans tes mains.

Manifestement, la recherche du bonheur des adolescents, d’un sens à trouver à leur vie est un thème qu’affectionne tout particulièrement l’auteur, et qu’il s’amusera ironiquement à démonter, notamment en concluant la plupart du temps ses histoires sur une note assez pessimiste. La paix intérieure serait dans Printemps Bleu soit inaccessible, étant toujours troublée par un facteur extérieur comme le montre la dernière nouvelle, soit liée à la mort, au suicide, ou à la folie, seules échappatoires dans ce monde devenu fou. Mais cette inaccessibilité au bonheur est invariablement liée au mal-être certain qui se dégage des personnages rencontrés dans le recueil, dont les nouvelles forment en fin de compte une critique acerbe et pertinente de la société japonaise, manifestement en pleine aliénation.

Chacune des sept histoires courtes, allant d’une vingtaine à plus de soixante pages, met en scène une tranche de vie de quelques adolescents en reprenant les thèmes évoqués précédemment. Nous suivrons ainsi par exemple dans Revolver le quotidien de trois jeunes mourant d’ennui trouvant soudain une occupation excitante en la présence d’un instrument de mort, ou dans Paix l’histoire d’un jeune japonais sombrant dans la folie suite à son échec scolaire, à sa perte de repères et de confiance en l’avenir.

Revolver

La plupart des histoires courtes de Printemps Bleu sont plus ou moins liées au lycée Kitano, et il semblerait que le nom de l’établissement n’ait pas été choisi au hasard. En effet, on retrouve en quelque sorte dans Printemps Bleu l’ambiance si particulière des films de Kitano Takeshi, faite de mélancolie, d’humour noir et d’un certain réalisme parfois choquant car très cru. Ainsi, un exemple pour le moins flagrant est la présence dans le recueil d’une scène prenant lieu en bord de mer, et présentant trois personnages s’essayant à la tristement célèbre roulette russe; une scène qui ne manquera pas de rappeler l’excellent Sonatine du cinéaste japonais.

- "Défense de faire des graffitis !" -

Matsumoto développe ici son univers personnel, décalé et surréaliste dans sa forme, s’apparentant parfaitement à sa poésie noire. On trouve ainsi des personnages très caricaturés ainsi qu’un trait souvent tremblant et déformé, mais le tout reste maîtrisé et l’originalité du trait couplée au travail sur les cadrages, l’encrage et le découpage donne un résultat absolument exceptionnel. A ce style très particulier et bien loin des standards du manga s’ajoute le jeu de l’auteur à remplir ses cases de détails graphiques très symboliques et souvent en analogie avec les événements. Par exemple, on trouve des graffitis sur les murs tout le long de la nouvelle Paix, et notamment une reproduction du "Cri", célèbre tableau d’Edvard Munch symbolisant le mal-être, et directement lié à l’action du moment. En outre, tous ces graffitis représentent également l’état d’esprit des jeunes japonais du lycée Kitano, et plus particulièrement celui du personnage principal de l’histoire sus-citée en ce qui concerne certaines phrases inscrites sur les murs. Ce détail est également très visible dans Si t’es heureux frappe dans tes mains, avec des inscriptions telles que "Sortez-nous de cette prison", "On a juste à penser qu’il y a une piscine derrière" ou encore "Parti onaniste du Japon".

Matsumoto n’accorde pas moins de soin à l’aspect narratif, et parvient à rendre intéressante une simple nouvelle d’une vingtaine de pages. Il s’amuse en outre à surprendre le lecteur en amenant ses récits vers des événements inattendus (particulièrement dans Paix), ou vers un délire total comme le montre la dernière histoire, mais sans jamais rien laisser au hasard.

Si t'es heureux frappe dans tes mains

Printemps Bleu est ce que l’on peut appeler une œuvre "underground", anticonformiste, crue, et marginale. Matsumoto soulève de réels problèmes, à savoir la perte de repères de la jeunesse et leurs conséquences, qu’il traite de manière très personnelle, intimiste. S’il est certain que Printemps Bleu ne touchera et ne plaira pas à tous les publics, il reste donc un magnifique titre à lire de toute urgence pour qui recherche un tant soit peu de réflexion et d’originalité artistique. C’est en lisant ce genre d’œuvre que l’on peut clairement affirmer que la bande dessinée est réellement un art à part entière, au même titre que la littérature ou le cinéma. A noter qu’il existe deux adaptations en film live, Aoi Haru (2001) et Revolver - Aoi Haru (2002), réalisées respectivement par Toshiaki Toyoda et Watanabe Takeshi.

Matsuda Ryuhei (Tabou) dans Aoi Haru (2001)

Matsuda Ryuhei (Tabou) dans Aoi Haru (2001)

sources :
mangajima.com/

animeland.com/

http://perso.wanadoo.fr/frboudet/

http://www.side-effect.info/

inter-g7.or.jp/